Les êtres humains ont des préférences variées en matière d'alimentation : régime traditionnel, végétarisme, pesco-végétarisme, flexitarisme, végétalisme, régime sans gluten, cétogène ou même simplement les habitudes alimentaires provenant de leur famille. Certains recherchent la qualité, d'autres la facilité en privilégiant les plats préparés ou encore les aliments les moins chers possible. Il y a autant de pratiques alimentaires que de façons de concevoir l'alimentation ! 

Bien qu'il s'agisse d'un besoin vital, l'acte de manger est véritablement une expérience fondamentale qui dépasse l'être humain individuel et façonne l'identité de la société d'aujourd'hui et de demain. De plus, la façon de manger est cruciale pour un développement durable de l'homme et de la planète Terre, ce qui a été, entre autres, démontré dans le Planetary Health Diet (Eat-Lancet Commission, 2019).

Claude Lévi-Strauss a souligné que la cuisine est un langage par lequel une société s'exprime (Lévi-Strauss, 1990). Selon lui, il existe une relation étroite entre la nourriture que les gens mangent et l'image qu'ils ont d'eux-mêmes et de l'univers.  "Dis-moi ce que tu manges... et je te dirai qui tu es", a écrit le célèbre gastronome français Jean Anthelme Brillat-Savarin dans son livre "Physiologie du goût". De même, le philosophe allemand Ludwig Feuerbach postulait en 1850 "vous êtes ce que vous mangez".

D'un côté, dans une certaine mesure, on devient effectivement ce que l'on mange car la façon de manger a une influence sur la santé. D’ailleurs, elle a aussi une influence sur l'ensemble du système alimentaire, du champ à l'assiette. D'un autre côté, on ne devient pas réellement ce que l'on mange, car lors de la digestion l'aliment est "détruit" au-delà de toute reconnaissance par l'organisme humain qui est même en mesure de recréer ses propres nutriments lors de la digestion.

Il est vrai que la cuisine française est mondialement connue pour sa gastronomie. Depuis 2010, elle est inscrite au patrimoine immatériel de l'UNESCO. Par ailleurs, ce que l'on appelle le " modèle alimentaire français " se caractérise par des repas structurés ainsi que par leur convivialité. Plus précisément, trois repas sont généralement pris par jour, à heures fixes, et le grignotage reste relativement faible. Les repas principaux (déjeuner et dîner) comprennent trois plats - entrée, plat principal et dessert - et sont pris assis à table. De plus, les repas sont des moments agréables partagés avec d'autres personnes et durent donc relativement longtemps (Ducrot et al. 2018). Ce comportement alimentaire aurait des effets bénéfiques sur la santé à tel point qu'il révèle l'existence d'un "paradoxe français " : une faible mortalité cardiovasculaire malgré un apport élevé en graisses alimentaires (Holdsworth, 2008). 

En 2014, Ducrot et al. ont mené un projet de recherche dans le cadre de l'étude de cohorte observationnelle prospective en ligne NutriNet-Santé lancée en France en mai 2009, qui visait à évaluer l'adhésion des adultes français à ce modèle et à déterminer si elle était associée au statut pondéral. Le comportement alimentaire et, en particulier, le nombre de repas par jour, la fréquence des grignotages, l'heure des repas, leur durée, le nombre de plats, la posture physique (debout, assis), la présence d'autres personnes et le plaisir ressenti ont été évalués chez 47 219 participants à l'étude NutriNet-Santé. Un score global d'adhésion au modèle alimentaire français a été calculé sur la base des composantes du comportement alimentaire. De plus, l'association entre l'adhésion au modèle (et ses composantes) et le surpoids et l'obésité a été évaluée.   

Les résultats de cette étude indiquent que le modèle alimentaire français est toujours dominant chez les adultes français en 2014. Cependant, de nouvelles tendances ont été notées : de nombreux individus consacrent moins de temps aux repas et pratiquent le modèle de repas à deux plats (20 %).  

En ce qui concerne la commensalité, les résultats de cette étude ont mis en évidence que la plupart des repas étaient pris en famille, et en particulier les dîners en semaine et les déjeuners du week-end, et étaient principalement considérés comme des moments agréables. Les auteurs suggèrent que la plus grande importance accordée au plaisir éprouvé lors des repas, par rapport à d'autres pays, pourrait être l'une des raisons de la relative conservation du modèle alimentaire français. 

De manière générale, cette étude a montré que les individus qui présentaient une plus grande adhésion au modèle étaient moins susceptibles d'être en surpoids. Certaines caractéristiques du modèle semblaient avoir une association négative avec le surpoids et l'obésité (à savoir, trois repas par jour, peu d'épisodes de grignotage, repas à heures fixes, prendre le temps de manger et considérer les repas comme des moments de plaisir). Enfin, le nombre de plats par repas et la posture physique lors des repas n'étaient pas associés au statut pondéral. 

Ces résultats démontrent le rôle potentiel du modèle alimentaire français et l'importance de mettre en avant ses comportements alimentaires positifs pour la prévention de l'obésité et donc pour la santé. Ils soulignent également qu'une culture alimentaire, incluant le plaisir, la joie et la communauté, a un effet positif sur la santé. Puisque la culture est toujours une création humaine, on peut donc dire que non seulement ce que l’on mange la détermine mais aussi  la façon dont on mange.

Bibliography 

• The EAT-Lancet Commission, Food in the Anthropocene: the EAT–Lancet Commission on healthy diets from sustainable food systems Published online 2019. dx.doi.org/10.1016/S0140-6736(18)31788-4 
• Lévi-Strauss, C. La pensée sauvage. 1990, Ed. Pocket 
• Brillat-Savarin, J.A.  Physiologie du gout, 2017, Ed. Flammarion. 
• Ducrot P. and al. Adherence to the French Eating Model is inversely associated with overweight and obesity: results from a large sample of French adults, British Journal of Nutrition (2018), 120, 231–239 
• Holdsworth M. The French paradox: fact or fiction? – how important are differences in national eating habits in France? Dialog Cardiovasc Med. 2008. 13, 200–208 
• https://info.etude-nutrinet-sante.fr