Pour de nombreuses personnes dans les régions et les pays les plus pauvres, la politique des gouvernements en matière de pandémie a simplement créé une nouvelle crise alimentaire, car il existe de nombreux pays où 30 à 50 % des personnes vivent et travaillent dans le secteur dit informel. Cela signifie que ces personnes cherchent chaque jour un nouveau travail et que leurs familles vivent de leur revenu quotidien. Le gel de la vie sur le plan social a créé une catastrophe économique totale pour ces personnes. Ils n'ont pas de travail, ils n'ont rien à manger. En Colombie, par exemple, il existe désormais une règle selon laquelle les personnes qui ont faim accrochent un tissu rouge devant leur fenêtre pour que les organisations humanitaires puissent venir à leur secours - et il y a des quartiers où une maison sur deux est signalée en rouge. On parle de 20 millions de personnes qui n'ont pas assez à manger. Ou à Pretoria (Afrique du Sud) s'est formée une file d'attente de plus de quatre kilomètres de long pour recevoir des colis alimentaires. Et ici aussi, il y a un phénomène surprenant : à Genève, l'une des villes les plus riches de la Suisse prospère, des distributions de nourriture sont organisées pour les personnes dans le besoin, car elles n'ont tout simplement plus rien à manger.
Conséquences du confinement
Le blocage général et mondial a conduit à un retour aux besoins essentiels de base qui sont en premier lieu : la nourriture et les repas. Enfermé chez soi dans ses quatre murs, manger est devenu un élément essentiel du rythme quotidien.
De nombreuses familles ont redécouvert la cuisine et le repas en commun. Les produits biologiques et régionaux étaient de plus en plus demandés. Le marché de produits a explosé, surtout dans les premiers temps, certainement à cause des achats pour faire des réserves.
L'un des aspects est que la Covid-19 ne présente aucun danger pour les animaux, les plantes ou la terre. Cela signifie que la nature, et donc l'agriculture et la base alimentaire, n'ont jamais été menacées. Ainsi, pendant les nombreuses semaines d'incertitude mondiale qui ont saisi de nombreuses dimensions de la vie, la nature et les aliments non contaminés ont été une base sûre pour la vie et les modes de vie.
Cela a conduit beaucoup de gens à apprécier les jardins et l'environnement proche de la maison, en particulier dans des pays comme la France, où la sortie était limitée à une heure par jour et dans un rayon d'un kilomètre autour de la maison. Le séjour dans la nature comme élément essentiel de la qualité de vie a été redécouvert. Avec la fermeture des frontières et l'interruption de nombreuses chaînes d'approvisionnement mondiales, l'économie régionale a été revalorisée, notamment dans le secteur alimentaire. De nombreux nouveaux contacts ont été établis entre les producteurs et les consommateurs. Les producteurs se sentent vus sous un nouveau jour et bénéficient d'une plus grande reconnaissance.
Avant la crise de la covid 19, beaucoup de choses tournaient autour de la crise climatique. Comme l'agriculture est un des principaux responsables de la dégradation environnementale et climatique, elle a été soumise à une forte critique. Il s'agissait de plus d'écologie et de moins de productivité forcée. Dans la crise du corona, l'accent fut désormais mis sur la nourriture produite et les aspects écologiques du climat passèrent à l'arrière-plan. Cela changera encore, mais la «seule» écologie sans production alimentaire raisonnable, également en termes quantitatifs, aura du mal à s'imposer.
Sur le marché, le bio et la marque Demeter vont certainement gagner du terrain, car en général, l'alimentation a connu une nouvelle appréciation. C'est une grande opportunité pour le secteur biologique. Pour Demeter, le défi reste de communiquer sur une qualité alimentaire qui, d'une part, englobe tout le chemin du «champ à l'assiette» et, d'autre part, soit réellement reconnaissable dans la vitalité et la maturité des produits.
De nouvelles maladies exigent un revirement écologique
La Covid-19 n'affecte que l'homme. Mais cette crise sanitaire a révélé une menace croissante, contre laquelle de nombreux biologistes, écologistes et agronomes nous ont mis en garde depuis un certain temps : l'augmentation alarmante des maladies émergentes chez les humains, les animaux et même les plantes. Une série de changements importants dans notre environnement, dans l'agriculture et dans la façon dont la nature est traitée ont favorisé l'apparition de ces maladies virales et bactériennes. Il s'agit notamment du réchauffement climatique, qui favorise le déplacement des espèces de leur environnement d'origine, de la mondialisation croissante du commerce des produits agricoles, du déclin inquiétant de la biodiversité au niveau mondial et des pratiques agricoles industrielles induites par l'économie, telles que les monocultures et l'élevage de masse. Ainsi, une méta-analyse publiée en 2010 (Le Monde, 15.12.2010) montre que le déclin de la biodiversité s'accompagne d'une augmentation des maladies infectieuses dans le monde. D'autres études établissent le lien entre la destruction du milieu naturel et l'augmentation des maladies émergentes (Le Monde diplomatique, 3/2020). Le coronavirus n'est qu'un exemple des conséquences dramatiques que ces maladies émergentes peuvent avoir au niveau mondial. Une autre menace tout aussi importante, sinon plus, pour la santé est le développement rapide de bactéries multirésistantes aux antibiotiques, causé par l'utilisation systématique et prophylactique des antibiotiques dans l'élevage et leur usage abusif en médecine humaine (Die Zeit, 20.11.2014)
Il est urgent de faire comprendre au public comment le mode de vie économique inhérent à la civilisation actuelle favorise le développement de ces maladies végétales et animales par l'interaction de divers facteurs. Ainsi, notre base de vie sur terre est de plus en plus menacée et détruite. Depuis près de 100 ans, l'agriculture biodynamique a développé une approche systémique qui renforce la vie et la résistance aux maladies. Elle a élaboré des principes de pratique agricole qui permettent de produire des aliments pour l'homme en harmonie avec la nature et en soutien de celle-ci.
Les approches qui visent à résoudre le problème sont en revanche complètement différentes quand elles proviennent des principaux fabricants de produits phytosanitaires. Ils ont une démarche diamétralement opposée. Au lieu d'intégrer des cultures et élevages dans les zones agricoles et de créer ainsi des contextes naturels autonomes, ils proposent de limiter tout contact des animaux de ferme avec la nature et donc avec les virus et les bactéries par une approche «hygiéniste». Cela entraînerait une augmentation de l'élevage industriel. Le fait que les récents problèmes de santé aient rarement mis en cause les élevages industrielles, mais plutôt les petites fermes à ciel ouvert, est symptomatique de la puissance des lobbies de l'agriculture chimique industrielle. C'est pourquoi il est essentiel de rechercher et de forger une «alliance pour la vie» avec de nombreux partenaires.
L'entreprise résiliente et des systèmes alimentaires correspondants
L'impulsion biodynamique pour l'agriculture et l'alimentation comporte quelques principes de base, dont l'un est la ferme en circuit de production fermé, intrinsèquement diversifiée. Ce principe peut être compris d'une manière traditionnelle, notamment par opposition à l'exploitation agricole «moderne», qui est créée uniquement en fonction de critères économiques. Cependant, tout calcul de rentabilité conduit à une spécialisation des exploitations, qui nécessite à son tour l'utilisation d'engrais, de pesticides et d'aliments industriels.
En revanche, le principe de l'agriculture biodynamique est l'interaction interne des différentes espèces animales et de plantes. En d'autres termes, un organisme agricole se compose de différents organes qui, ensemble, forment un tout, lui-même supérieur à la somme de leurs parties. Il y a plusieurs raisons de constituer et de gérer une ferme de cette manière : l'une d'entre elles est la résilience. Ce terme désigne la capacité à faire face aux influences extérieures de manière flexible, à absorber les influences, à tolérer le stress et à ne pas perdre immédiatement santé et performance, même lorsqu'un vent violent souffle. En ce sens, une ferme biodynamique tend à un haut degré de résilience.
Jusqu'à présent, nous avons compris cette résilience principalement d'un point de vue agronomique, et nous nous sommes concentrés sur les variations liées au changement climatique. Cependant, la situation de stress socio-économique causée par la crise de la covid-19 nous permet de découvrir cette résilience dans sa dimension sociale et économique. Ainsi, une entreprise diversifiée est résiliente sur le plan socio-économique. Et cela vaut beaucoup quand toute la structure économique devient instable.
Comment nos économies peuvent-elles être stabilisées à nouveau ? Les seules injections financières gigantesques de l'État ne feront pas l'affaire. Il faut de la confiance - et toute entreprise capable de gérer une situation aussi stressante fait partie de la solution. Elle crée un potentiel de confiance ; elle n'attire pas les forces du système, mais l'alimente. De nombreuses fermes biodynamiques sont comme des prototypes d'entreprises résilientes. Et ce qui, à première vue, semble traditionnel devient, à y regarder de plus près, une force venant du futur.
Aucune entreprise n'est seule dans l'économie actuelle.
Même l’organisme agricole biodynamique clos sur lui-même n’est pas seul, car il est productif et ses produits doivent passer de la ferme à la société environnante. Dans les économies développées, seuls 1 à 3 % de la population active sont encore actifs dans l'agriculture. Tous les autres doivent être nourris par ces quelques personnes qui sont impliquées dans la production primaire. Production, transformation, commerce et consommation forment ensemble le système économique d'une branche d'activité. On parle donc d'un «système alimentaire». D’un côté, la ferme spécialisée, ouverte et non protégée, a tendance à être liée au système alimentaire mondial, pour lequel elle produit les matières premières, qui sont ensuite mises sur la table via la transformation industrielle et les supermarchés et soutenues par la publicité télévisée. Elle a son pendant dans la restauration rapide. De l'autre côté, la ferme biodynamique, conformément à ses principes de construction internes, forme également son réseau externe : il y a la vente directe, l'agriculture contractuelle, les chaînes de création de valeur régionales avec la transformation artisanale, etc. avec une sorte de culture interne de cohérence économique, qui apporte de nombreux contacts personnels.
Des systèmes alimentaires résilients sont basés sur des relations commerciales authentiques et honnêtes avec le sol, les plantes et les animaux, ainsi que sur des relations commerciales personnelles gérables et à long terme, qui ne se rompent pas en temps de crise, mais durent et donnent ainsi confiance. L'un des effets de la crise du Corona sera certainement la recherche accrue de formes économiques qui ne soient pas seulement anonymes et conditionnées par les prix. Le secteur agricole et alimentaire est l'un des plus importants dans cette recherche, et nous pouvons espérer que les nombreuses approches de systèmes alimentaires associatifs, expérimentées, par exemple dans les fermes biodynamiques, peuvent contribuer à cette économie «humaine» qui doit être développée.
Agriculture, sol et nationalisme
Il est déjà clair que la crise de la covid-19 et le changement climatique auront un fort impact sur l'agriculture et l'industrie alimentaire. Nous pouvons nous attendre à une polarisation accrue : D'une part, un renforcement de l'agriculture biologique, régionale et multifonctionnelle et de l'économie alimentaire ; d'autre part, un nouvel élan d’une production intensive visant à garantir la sécurité alimentaire nationale. Cependant, l'agriculture n'est pas seulement une question de plus ou moins de chimie, c'est-à-dire une question écologique. Il s'agit également de la question sociale du lien entre l'homme et le sol. Il est important d'y prêter attention, car le terme «régional» devient rapidement «national» et le terme «écologique» peut être instrumentalisé par le nationalisme. Après tout, «l'Amérique d'abord» signifie, entre autres choses, l'Amérique aux Américains - et il existe des slogans et des mouvements correspondants dans de nombreux pays.
Le paradoxe ici est que la pandémie mondiale de la Covid-19 a entraîné la fermeture des frontières et donc une action nationale de facto. Nous vivons à nouveau pendant des semaines et des mois dans un contexte national - que cela soit voulu ou non, cela reste à voir. C'est, en fait, notre réalité. Ce n'était pas seulement perçu comme un handicap, mais aussi comme un nouveau foyer dans «mon» pays. De nombreux pays ont mis en place des programmes de rapatriement importants et coûteux, car en période d'incertitude, on n'est en sécurité que chez soi. Cette nouvelle demeure ne disparaîtra pas simplement avec l'assouplissement des restrictions. Il peut y avoir des aspects positifs à cela, mais nous, dans le secteur agricole en particulier, qui nous occupons du sol au quotidien, devons également reconnaître le danger que cela puisse conduire à un nouvel attachement collectif au sol. À ce niveau, la biodynamie est également en danger, car elle aime à faire passer l'agriculteur, la personne qui travaille sur la ferme, comme un constituant de l'organisme agricole. Ici, il faut affirmer clairement : ce n’est pas l'homme qui appartient au sol, mais le sol qui appartient à l'homme !
C'est précisément l'une des réalisations de l'individualisme moderne que l'individu s'émancipe du collectif et devienne potentiellement libre. Cette liberté individuelle disponible est un fondement essentiel de l'anthroposophie et donc de l'agriculture biodynamique. Et c'est seulement sur cette base - et non sur la base d'un vieux lien collectif - qu'il est «permis» de se lier au sol et à l'environnement naturel de manière aussi intensive que cela est courant en biodynamie et, dans une certaine mesure, aussi en agriculture biologique. Fermes et lieux biodynamiques vivent de la force de la libre initiative individuelle et de la responsabilité des personnes actives. Et le mouvement biodynamique vit du trait cosmopolite qui nous relie à travers la terre dans un sens spirituel.
De nouvelles relations avec le monde vivant
Outre la crise climatique et le déclin de la biodiversité, la crise du coronavirus a amené de nombreuses personnes à repenser leur propre relation avec le milieu de vie et à prendre conscience de notre éloignement actuel de la nature et de l'importance fondamentale de l'agriculture pour notre vie quotidienne et notre alimentation. De nombreux articles, émissions de radio, etc. en témoignent. Une prise de conscience croissante de l'importance d'une relation pacifique et coopérative avec la nature se développe, en particulier chez les jeunes.
Cela ouvre de nouvelles fonctions et possibilités pour les fermes biologiques et biodynamiques : activités d'information et de formation telles que la création de jardins scolaires ou d'autres formes d'espaces participatifs et innovants pour développer une conscience différente et une nouvelle relation avec la vie qui nous entoure. Il est possible qu'à l'avenir, il y ait davantage de jeunes ou de jeunes couples cherchant à revenir à la campagne afin d'accomplir une tâche globale - peut-être même tout comme au Pérou, simplement pour assurer la survie quotidienne de leur famille. Cela a déjà été le cas en Grèce et dans d'autres pays d'Europe du Sud après la crise financière de 2008. Le défi sera d'accompagner ces processus pour permettre une bonne intégration de ces personnes dans les communes croissantes et au sein des communautés.
Tâches futures du mouvement biodynamique
Comment pouvons-nous, en tant que mouvement biodynamique, contribuer à ce que chacun ait à manger ? Ne devrions-nous pas nous réinventer complètement ? Biodynamie devrait signifier pour chaque personne : pour moi, il y a un lopin de terre dans le monde où de la nourriture pousse pour moi. Je suis responsable de ce sol, je suis responsable de ma nourriture. Est-ce que je veux cultiver moi-même mon sol ? Est-ce que je veux déléguer cette tâche ? Comment pouvons-nous organiser cela ?
Le sol est le mien tant que je suis sur terre. Ensuite viendront les générations suivantes - elles aussi veulent manger : Nous devons cultiver la terre pour que eux aussi puissent vivre. «Biodynamique» signifierait alors : la terre est un être vivant, elle nous porte et elle peut être travaillée de sorte qu'elle nourrisse tous les hommes de génération en génération.
Article tiré du livre : «Perspektiven und Initiativen zur Coronazeit» (2020) S. 15 (non-traduit)