Les ventes de produits biologiques sont en hausse et gagnent en importance sur le marché et auprès des consommateurs. La question de ce qui constitue la qualité par rapport aux produits conventionnels a déjà fait l'objet de plusieurs études. L'une d'entre elles est l'analyse chimique de certains composants, dont certains sont directement liés au type de fertilisation. Ce qui différencie essentiellement l'agriculture conventionnelle de l'agriculture biologique, c'est le type d'engrais azoté utilisé et sa disponibilité. Au lieu de l'azote minéral hautement soluble contenu dans les engrais conventionnels, les fermes biologiques utilisent de l'azote à liaison organique, moins soluble. Cela a pour conséquence que les plantes développent plus de matière sèche et une plus grande concentration de substances de défense phénoliques [1]. Ces dernières augmentent la résistance au stress et donc le potentiel de défense contre les agents pathogènes. Outre l'analyse quantitative de composés individuels, il est possible de faire des constatations qualitatives sur la vitalité en se basant sur des méthodes complémentaires. Elles se réfèrent au produit dans son ensemble. Il s'agit par exemple de tests de stockage et de dégradation. Un test de stockage sous contrainte a permis de déterminer les propriétés antimicrobiennes (antiomicrobial properties, AMP), de conservation de la couleur (colour retainment properties, CRP) et de guérison (slice healing properties, SHP) des concombres. Ce dernier paramètre reflète la capacité de l'échantillon à développer un « tissu cicatrisant » et à restaurer sa structure après avoir été entièrement découpé en tranches de 15 à 20 mm d'épaisseur. Ce dommage tissulaire défini et important (tranchage) est un facteur de stress considérable qui met à l'épreuve la vitalité des échantillons. La cicatrisation des tissus endommagés est importante pour les plantes afin de se protéger contre les infections microbiennes et également après des dommages mécaniques. Elle est associée à une meilleure conservation des concombres et donc à une meilleure qualité du produit. La meilleure vitalité représente un bénéfice pour les consommateurs. Doesburg-van Kleffens et al. (2025) ont étudié l'influence de la culture - conventionnelle, biologique et biodynamique - des concombres sur ces trois paramètres à l'aide du test de stress de stockage [1].
Réalisation de l'étude
Des concombres (Cucumis sativus L.) biodynamiques, biologiques et conventionnels provenant du commerce local (supermarchés, magasins de produits naturels, marchés aux légumes ainsi que grossistes) ont été analysés dans trois laboratoires différents au Danemark, en Allemagne et en Suisse. L'utilisation d'échantillons de marché permet d'obtenir une situation réaliste du point de vue du consommateur. Les chercheurs ont déterminé les paramètres suivants : diamètre, longueur, poids, matière sèche, CRP, AMP et SHP[1] . Dans chaque laboratoire, les analyses ont eu lieu huit fois à des moments différents, avec 12 concombres par système de culture. Au total, les chercheurs ont analysé 864 concombres. En complément, ils ont déterminé la teneur en matière sèche des différentes variantes sur environ 40 échantillons.
Ils ont d'abord mesuré le diamètre, la longueur et le poids des échantillons. Ils ont ensuite découpé les concombres en tranches selon une procédure définie. Puis ils ont placé les tranches les unes contre les autres dans leur orientation initiale et les ont enveloppées dans du film alimentaire. Enfin, les échantillons ont été stockés à l'obscurité dans une armoire chauffante fermée à 23,5 °C, sans contrôle de l'humidité de l'air.
Après 14 jours, les chercheurs ont évalué visuellement les paramètres AMP (propriété antimicrobienne) et CRP (conservation de la couleur). Pour ce faire, ils ont comparé les échantillons à une série de photos de référence développée au Danemark et les ont classés sur une échelle de 0 à 10. Pour l'AMP, 0 signifiait pour AMP une « infestation microbienne visible sur toutes les tranches », 10 « aucune infestation visible sur toutes les tranches ». Pour la CRP, 0 correspondait à une « coloration jaune sur toute la surface » et 10 à une « coloration verte sur toute la surface ». Pour mesurer la valeur SHP (propriétés de cicatrisation), un essai de charge a été effectué, car les propriétés de cicatrisation d'un échantillon, c'est-à-dire la manière dont les tranches se soudent, sont basées sur la capacité de deux surfaces de contact à résister à une charge de poids. Pour déterminer cela, les chercheurs ont soumis les concombres tranchés et incubés à des poids qu'ils ont augmenté jusqu'à ce que l'interface se rompe. Le poids de la charge a permis de déterminer la valeur SHP. Pour l'évaluation des résultats, les valeurs moyennes de chaque paramètre des trois systèmes de culture et des laboratoires ont été utilisées
Résultats
Le poids des concombres conventionnels, 385,4 g en moyenne, était significativement plus élevé de 4,5% que celui des concombres biodynamiques, 367,9 g (p < 0,05). Le diamètre était également significativement plus grand chez les concombres conventionnels (45,0 mm vs 43,8 mm, p < 0,05). Les concombres biologiques se situaient entre les deux pour les deux paramètres (poids 379,5 g, diamètre 44,3 mm). En ce qui concerne la longueur, il n'y avait pas de différences significatives entre les échantillons des trois systèmes de culture. La masse sèche des concombres conventionnels (2,77 %) était significativement plus faible que celle des concombres biologiques et biodynamiques (3,13 % et 3,28 %, p < 0,05).
Pour les trois paramètres de stress, les concombres cultivés en biodynamie ont montré les valeurs les plus élevées, pendant que les concombres cultivés de manière conventionnelle ont montré les valeurs les plus faibles. La différence était très significative pour les trois valeurs (p< 0,0001). De même, les valeurs des concombres biologiques, qui se situaient au milieu, étaient très ou hautement significative différentes de celles des concombres conventionnels (CRP et AMP : p < 0,0001et SHP : p < 0,001).
La valeur CRP des concombres cultivés en biodynamie était hautement significative et la valeur SHP significativement plus élevée par rapport aux valeurs des concombres cultivés en bio (p < 0,0001 et p < 0,1). La valeur AMP n'était pas significative entre les deux méthodes de culture.
Il s'est avéré que les concombres cultivés en biodynamie présentaient la meilleure capacité de stockage dans des conditions de stress dans 58 à 71 % des études, alors que ce n'était le cas que dans 25 à 38 % des études pour les concombres cultivés en biologie et dans 4 à 8 % des études pour les concombres cultivés en conventionnel.
Discussion
Dans l'agriculture biodynamique, l'utilisation des préparations dites biodynamiques est au coeur de la pratique. Elles sont appliquées à très faible dose, ce qui fait leur efficacité est régulièrement remise en question. Il a déjà été démontré la présence de composés bioactifs et de micro-organismes dans des préparations de bouse de corne, lesquels stimulent les processus nutritifs dans le sol et la croissance des plantes [1]. Une étude de 2019 a constaté que les pommes cultivées en biodynamie possédaient une plus grande diversité de micro-organismes ainsi que nettement moins d'agents pathogènes que les pommes cultivées de manière conventionnelle [2]. Les meilleures capacités de conservation de la couleur et de cicatrisation des plaies chez les concombres cultivés en biodynamie dans la présente étude pourraient être dues à l'effet du microbiome végétal stimulé par les préparations. En outre, des études antérieures ont associé les préparations à une teneur plus élevée en substances végétales secondaires telles que les antioxydants, les polyphénols ainsi que les vitamines [3, 4, 5, 6]. Les meilleures propriétés antimicrobiennes des échantillons biodynamiques pourraient être liées à une teneur plus élevée de ces substances, car celles-ci ont un effet protecteur contre le stress.
Les trois paramètres de stress pendant le stockage – propriétés antimicrobiennes, maintien de la couleur et guérison des surfaces de coupe - décrivent la vitalité des concombres. Par vitalité, on peut entendre la « capacité d'un organisme vivant à développer, maintenir et exécuter des processus et un cycle de vie, même dans des conditions défavorables » [1]. Plus les valeurs des paramètres de stockage sont élevées, plus le légume est vital. Il peut mieux résister au stress extérieur, notamment lors du stockage. L'un des objectifs de l'agriculture biodynamique est de produire des aliments vitaux.
Les échantillons de la présente étude présentaient une grande variabilité en termes d'origine, de conditions de culture et de variété. Le grand nombre d'études par système de culture et surtout leur clarté ainsi que le niveau de signification des résultats soulignent néanmoins l'affirmation de la qualité des différentes variantes biodynamiques, biologiques et conventionnelles.
En achetant des produits biodynamiques, les consommateurs ont généralement une exigence élevée en matière de qualité. Les meilleurs résultats observés dans plus de deux tiers des essais pour les échantillons de concombres biodynamiques, avec leur vitalité accrue et leur meilleure capacité de stockage par rapport aux concombres biologiques et conventionnels, montrent que cela est justifié.
Bibliographie
[1] Doesburg-van Kleffens M, Andersen JO, Gründemann C, Fritz J (2025): «Effects of cultivation systems on the antimicrobial, colour retainment and slice healing properties of consumer ready market samples of cucumber (Cucumis sativus L.)» Applied Food Research, 5(1). https://doi.org/10.1016/j.afres.2025.100754
[2] Wassermann B, Müller H, Berg G (2019) : "An apple a day : Which bacteria do we eat with organic and conventional apples ?" Front. Microbiol. https://10:1629.doi : 10.3389/fmicb.2019.01629
[3] Heimler D, Vignolini P, Arfaioli P, Isolani L, Romani A (2012): «Conventional, organic and biodynamic farming: Differences in polyphenol content and antioxidant activity of Batavia lettuce» Journal of the Science of Food and Agriculture, 92(3), 551–556. doi.org/10.1002/jsfa.4605
[4] Juknevičienė E, Danilčenko H, Jarienė E, Fritz J (2019): «The effect of horn-manure preparation on enzymes activity and nutrient contents in soil as well as great pumpkin yield» Open Agricultur, 4, 452–459. doi.org/10.1515/opag-2019-0044
[5] Vaitkeviciene N, Kulaitiene J, Jariene E, Levickiene D, Danillcenko H, Srednicka-Tober D, Rembialkowska E, Hallmann E (2020): «Characterization of bioactive compounds in colored potato (L.) cultivars grown with conventional, organic, and biodynamic methods» Sustainability, 12(7). https://doi.org/10.3390/su12072701
[6] Malagoli M, Sut S, Kumar G, Dall’Acqua S (2022): «Variations of elements, pigments, amino acids and secondary metabolites in Vitis vinifera (L.) cv Garganega after 501 biodynamic treatment" Chemical and Biological Technologies in Agriculture, 9 (1), 36. https://doi.org/10.1186/s40538-022-00299-y
[1] AMP : propriétés antimicrobiennes (antiomicrobial properties)
CRP : propriétés de maintien de la couleur (colour retainment properties)
SHP : propriétés cicatrisantes (slice healing properties)
