Thierry Bordage
C'est la première fois que je participais au congrès annuel d'agriculture au Goethéanum. La section qui organise ce congrès chaque année, m'a invité à présenter une « expérience avec les abeilles »et à animer un atelier de travail sur le thème, « la relation de l'homme et de l'abeille ». J'étais déjà venu en visiteur au Goethéanum en 1991 et avait pu m'imprégner de l'ambiance du lieu , mais cette année je suis rester cinq jours et je souhaite témoigner de cette expérience extraordinaire que de se sentir un citoyen du monde avec la complicité des abeilles.
Je tiens à remercier les organisateurs et animateurs de ce congrès pour sa qualité et l'ambiance chaleureuse qui le portait, malgré les repas du midi où il était difficile de s'entendre tellement le lieu résonnait des échanges passionnés, mais cela nous invitait à être plus attentif à l'autre.
Pour ce congrès étaient réunis les acteurs de la Biodynamie dans le monde, des apiculteurs et des personnes curieuses et passionnées par les abeilles, qui découvraient pour la première fois cette approche originale qu'est la biodynamie et la pensée Anthroposophique, visible dans « l'architecture organique » du Goethéanum et par l'ensemble des bâtiments et des maisons répartis sur la colline.
Il ma fallut un temps d'adaptation à la langue allemande car je ne la pratique pas, mais ensuite c'est une dynamique fraternelle que j'ai ressentie, une joie d'être là sur ces les lieux qui portent artistiquement l'empreinte de cette « pensée vivante » en action.
Comment alors ne pas être tous les sens en éveil pour accueillir ces différents points de vue, entendre toutes ces langues et s'ouvrir aux rencontres portées par le thème de l'année, « l'abeille créatrice de relations »
Du fait de travaux dans la grande salle du Goethéanum, le congrès se déroulait dans la menuiserie spécialement adaptée pour accueillir plus de 500 personnes. Une ruche solaire en paille et les dessins de R.Steiner sur le thème des abeilles décoraient la salle.
En introduction Thomas Lüthi, l'un des responsable de la section agricole au Goethéanum, a évoqué la chance que nous avions de nous retrouver dans la salle où R.Steiner avait donné les conférences sur les abeilles, aux ouvriers qui reconstruisaient le nouveau Goethéanum en décembre 1923. Nous étions ainsi rassemblés 90 ans après qu'il ait prononcé ces paroles prophétiques en novembre 1923.
« ...certes, les apiculteurs peuvent se réjouir grandement de voir l'essor qu'a pris depuis peu de temps l'élevage des abeilles, mais cette joie ne tiendra pas cent ans. »
L'esprit était donné à cette rencontre, quelles nouvelles impulsions jailliraient de ce congrès pour redonner des Forces de Vie aux abeilles et de l'espoir à ceux qui s'en occupent?
Ueli Hürter et Jean.Michel florin, tous deux co-responsable de la section, introduisirent les présentations d'expériences. L'abeille étant toujours le fil conducteur des apports.
Ueli évoqua le lien entre les conférences de R.Steiner sur les abeilles de novembre 1923 et le cours aux agriculteurs de juin 1924, avec au centre le congrès de Noël 1923 qui refondait la société anthroposophique puisqu'il en assumait désormais la responsabilité.
Thomas Radeski évoqua la nature et l'expression de la colonie d'abeille, en présentant l'organisme ruche comme un Être spirituel qui se cacherait derrière l'apparence de la colonie que nous voyons. Se pose alors la question « qui es-tu ? »
La ruche qui n'a pas d'organe central de conscience mais a par ses perceptions, la conscience de son environnement. Une colonie en butinant visitent un espace (3km de rayon au maximum) qui représente ainsi la conscience qu'elle a d'elle même. La ruche est donc un être qui se ressent en lien avec son environnement la qualité de ce dernier sera déterminant pour la vitalité des colonies.
Le soir, Marco Bindelli nous a invité à lire dans le livre de la nature en parlant du rôle des abeilles dans nos sociétés, des Mystères d’Éphèse à nos jours.
Les témoignages , conférences et ateliers présentés et animés par de nombreuses personnes du monde entier nous ont permis de voyager de l'Amérique du Sud jusqu'en Europe de l'Est, d 'entendre des témoignages d'Allemagne, d'Angleterre, d'Espagne, des États-Unis, de France, de Hollande et d'Italie, présentant l'implication d'agriculteurs et de personnes passionnées par les abeilles, avec l'enthousiasme qu'elles savent nous communiquer. La réalité catastrophique de l'environnement néfaste aux abeilles était présente par l'évocation des mortalités importantes et de leur disparition dans certaines contrées, mais chaque témoignage parlait de projets pour et avec les abeilles ; de rencontres humaines et d'actions pleines de chaleur et d'enthousiasme.
Chaque journée débutait par la lecture de « la lettre de Michaël », sur « la liberté de l'Homme à l'ère de Michaël », lu et commenté par Jean-Michel Florin.
Ensuite une conférence introduisait le thème de la journée.
La nature de l'abeille
Michaël Weiler a évoqué « l'être de l'abeille qui s'offre à la vie partout où elle est présente » qu'il est Un et le Tout et qu'un essaim qui sort de la ruche est comme la parole qui se déverse dans le monde.
Les abeilles en relation
Peter Brown de l'association Biodynamique Anglaise nous a présenté la démarche engagé auprès des collectivités pour semer des parcelles mellifères dans les espaces urbains et l'intérêt qu'elles ont suscité auprès des habitants.
Ces présentations accompagnées de photos nous ont montré que la survie des abeilles est une préoccupation majeure dans le cœur des hommes et des femmes qui s'engagent alors à créer des espaces pour elles. Bien sûr l'abeille peut vivre seule dans la nature mais nous ne pouvons pas vivre sans leurs présences. Ce sont des oasis qui fleurissent ainsi à travers le monde.
Vivre avec les abeilles
L'expérience d'un lieu consacré aux abeilles en Californie présentée par Michael Thiele.
Parmi les ateliers proposés la ruche solaire construite par Guenther Mancke dont un modèle était suspendu dans la menuiserie a fortement intéressé les participants. Cette ruche en paille, en forme d’œuf, conçue il y a plus de vingt et respectant la forme de la grappe d’essaim suspendu a séduit par son esthétique.
La ruche de l'association Mellifera de Fishermühle était aussi présente. Cette ruche a la particularité d'être construite sur le principe de la ruche Kényane, c'est à dire que la colonie se développe en longueur à partir de cadre plus grands en hauteur que les ruches standard et peut ainsi se réguler avec une partition en suivant l'évolution de l'essaim.
Des ateliers artistiques ponctuaient les journées ainsi que des visites de l'espace aménagé autour du Goethéanum. Le soir deux concerts de musique de grande qualité ont emporté un vif succès avec un bal de musiques traditionnelles tziganes le dernier soir qui nous a emporté sur les routes d'Europe de l'Est.
Chaque jour douze laboratoires thématiques nous réunissaient sur le mode des « World café », pendant presque deux heures. Le principe étant d'échanger en petit groupe autour d'une table de quatre personnes ce qui facilite l'expression de chacun, en répondant à une question.Ce qui est exprimé ensuite en plénum et noté au tableau, pose le thème du lendemain. Cette dynamique permet aux participants d'apporter les réponses aux questions ; les animateurs ne faisant que faciliter la démarche.
A chaque fois des idées nouvelles, présentes en chaque personne du groupe, émergent, sont exprimées et ensuite partagées collectivement.
L'expérience du laboratoire que j'animai était sur le thème « la relation de l'homme avec l'abeille ». Élisabeth Van Way de l'association Suisse Romande de Biodynamie était la traductrice et Étienne Fernex agriculteur le coordinateur. Quarante personnes de différents pays et de tous âges, dont certaines parlant plusieurs langues se rencontraient pour la première fois.
Cet atelier m'a offert de beaux moments de rencontres, portés par les Abeilles. Je sentais la salle vibrer du son des voix passionnées, comme le bourdonnement d'une ruche que j'aurais ouverte. Autour des tables chacun étant attentif à l'autre, observait, écoutait dessinait, je pouvais percevoir que quelque chose se créait devant moi.
La dynamique de ces atelier favorise l'authenticité des échanges autour des questions posées. L’émergence de nouveaux points de vue, et les témoignages d'expériences permirent de prendre conscience que chacun pouvait s'impliquer « pour et avec les Abeilles ».
Une personne témoigna qu'elle ne passerait plus aussi rapidement auprès des ruches mais resterait un moment avec les abeilles présentes sur sa ferme, d'autres chercheraient un apiculteur pour que les abeilles soient proches de leur habitation.
Les projet et attentes pouvaient être répartis en trois sujets.
Comment rencontrer l’Être Spirituel de l'Abeille par la méditation ?
Comment offrir aux abeilles un habitat qui leur convienne avec quel modèle de ruche, comment construire une ruche solaire en paille ? Quelles cultures mellifères semer dans son environnement ?
La majeure partie du bilan des échanges posait le questionnement de comment se relier aux abeilles. Comment créer des associations ou un réseau solidaire ? Comment impulser des actions auprès des collectivités en parlant des abeilles comme source de vitalité et de l'importance de leur présence autour des villages et des villes. Une question plus sensible évoquait le souhait de comment rencontrer les agriculteurs pour agir ensemble.
Chacun est ainsi reparti avec un projet et de nouvelles relations pour prolonger ces échanges.
Une attente forte a été formulée par l'ensemble des personnes de l'atelier mais aussi d'autres groupes. C'est le désir de se retrouver dans deux ou trois ans pour une rencontre internationale pour et avec les abeilles, mais cette fois aux beaux jours pour visiter des ruches car même si nous sentions la présence des abeilles dans la menuiserie pendant les conférences et dans les échanges , il nous manquait le contact, l'odeur, les vibrations et la sensation particulière de la chaleur et de la lumière que nous offre les abeilles.
Je reviens de ce congrès avec une attente que j'aimerai partager avec les lecteurs de cet article.
« J'ai fais un rêve », I have a dream !, celui de voir une ferme en biodynamie accueillir un rucher école, pédagogique pour que chaque personne de passage puisse ressentir « l’Être de l'abeille », et repartir confiante en l'Avenir.
« Quand une graine rencontre une terre fertile
La vie peut ainsi s'épanouir,
Comme les idées en germe
Portées par l'Amour des Hommes
Et leur foi en l'Avenir. »